Comment réalise-t-on un film sur le conflit syrien en sortant de l’ordinaire ? Réponse avec le co-réalisateur de l’ambitieux Rebel.
(Une version raccourcie de cet entretien a été publié dans le premier numéro de Surimpressions)
On sent qu'avec Rebel, il y a un vrai désir de parler à un public plus large que celui qui a l'habitude de voir des films sur la guerre en Syrie. Est-ce que c'était votre objectif ?
Avec Bilall, nous voulions montrer au plus grand public possible ce qui s'est passé pendant cette décennie. C'est pour cela que c'est un peu différent des autres films ou séries sur le sujet, qui sont moins accessibles. Il y a beaucoup de jeunes qui connaissent un peu cette histoire, mais sans vraiment connaître l'envers du décor. En faisant un film de cinéma, on les amène dans une sorte d'éducation de ces événements-là. À l'école on a étudié l'Holocauste. Mais voir La Liste de Schindler, ça avait quand même un autre effet.
Comment avez-vous reconstitué les zones de conflit ?
On a tourné en Jordanie, donc très proche de la Syrie. On avait l'aide des forces spéciales belges, et de l'armée jordanienne. On a mis en scène ces séquences-là pour qu'elles soient le plus réalistes possible. On s'est beaucoup entraîné avec les acteurs, les cascadeurs, et même l'armée pour arriver à ce niveau de réalisme dans la mise en scène. On a analysé beaucoup d'images d'archives, beaucoup de vidéos de propagande de Daech, etc.
Pensez-vous que vous auriez été capables de réaliser un film d'une telle ampleur si vous n'étiez pas passé par Hollywood ?
Je crois que ç'aurait été beaucoup plus difficile. On voulait réaliser des scènes de guerre et je crois qu'avoir l'expérience hollywoodienne nous a vraiment permis d'apprendre d'un côté technique et scénaristique comment diriger de grosses scènes comme ça. Si on n’avait pas eu cette expérience-là, ces séquences auraient été beaucoup plus chaotiques. Ou on aurait décidé de réaliser un film plus petit.
Quels sont vos prochains projets ?
Normalement on aurait du être en train de faire le montage de Batgirl. Le film a été annulé, donc en ce moment on est complètement focalisés sur Rebel. On attend un peu, ça peut changer du jour au lendemain, on peut avoir un appel d'Hollywood pour un projet. Mais pour le moment on est en stand-by. Il n'y a pas encore de choses prévues.
Comment est-ce que vous travaillez avec Bilall Fallah ?
On n'y réfléchit pas trop. Quand on est sur le plateau, on va faire tout ensemble en général. Parfois quand ce sont des séquences un peu complexes où il y a plusieurs caméras, c'est utile. Je peux être avec une partie de l'équipe, tandis que Bilall est de l'autre partie du plateau en train de diriger les caméras. Nos films sont assez complexes en général, donc c'est bien d'être à deux.
Le film prend place en Syrie, mais aussi à Bruxelles, qui est filmée de manière assez singulière.
On aime bien cette ville, elle est très cinématographique pour nous. On a pratiquement tourné toutes les scènes bruxelloises à Molenbeek. Au-delà de la symbolique, visuellement ça a donné beaucoup de personnalité au film. Pour nous, Bruxelles, c'est un peu comme New York pour Martin Scorsese ou Spike Lee. On essaie toujours de faire de cette ville-là un personnage à part entière dans nos films.
Le jeune acteur qui joue le rôle de Nassim n'est autre que Amir El Arbi, votre petit frère ! Comment avez-vous choisi de lui confier un tel rôle.
C'est une toute autre personne que Nassim, mais c'était intéressant. Pendant le confinement, je le voyais faire des petits sketchs, des petits one-man-show. Et c'est comme ça que je me suis qu'ils serait peut-être intéressé par le jeu d'acteur. J'ai fait des petites scènes avec lui, et j'ai vu que ça l'intéressait. La dynamique en lui et moi m'a permis de comprendre le rôle entre son personnage et celui de son frère. Il y avait un certain parallèle... et il a fait ça parfaitement.
Avec Rebel, vous donnez de nouveau un rôle majeur à Aboubakr Bensaihi, 7 ans après Black. C'était important pour vous de tourner une nouvelle fois avec lui ?
Ca avait été une super expérience, et on voulait trouver un autre rôle pour travailler avec lui. Pour lui c'est une histoire très personnelle, parce qu'il vient de Molenbeek. Il connaît des gens qui sont partis, des gens qui sont revenus. C'est très proche de lui. Et c'est également lui qui est l'auteur de tous les moments de rap du film, c'est son propre texte. Il a une grande intelligence et un grand talent pour raconter les choses à travers le rap.
Avez-vous rencontré des personnes qui ont vu leurs proches partir en Syrie ?
Dans le film, il y a une séquence avec une mère et un père qui parlent de leur fils qui est parti là-bas, et ce sont des vrais parents, ce ne sont pas des acteurs. On a fait beaucoup de recherches, interviewé beaucoup de personnes, pour comprendre comment ils sont partis, comment ça s'est passé, comment ils communiquaient avec eux... L'actrice Lubna Azabal [la mère de Kamal et Nassim, NDLR] a bien sûr beaucoup parlé avec eux pour saisir son rôle le plus correctement possible.
Il y a d'ailleurs plusieurs scènes de comédie musicale dans le film… On essayait de chercher une méthode pour raconter cette histoire-là, ce récit assez complexe, dans toutes ses nuances dans un laps de temps assez restreint, mais aussi transporter le public dans une sorte de conte arabe moderne, une sorte de Mille et Une Nuits de notre temps à nous. Et ce qui est utile avec la poésie, et la musique en général, c'est que ça touche le spectateur d'une manière différente. Ça crée beaucoup d'empathie. Ça permet d'expliquer en 5 minutes les raisons pour lesquelles Kamal est parti en Syrie. Il y a beaucoup d'émotions même juste avec la danse, et c'est une chose très universelle. La culture arabo-musulmane est une culture qui est très musicale. Daech est contre la musique, contre la poésie, contre la danse, contre le chant féminin. Si on voulait faire un film qui est contre l'État Islamique, ça devait être dans le genre musical.
Embrigadé par Daech, le personnage de Kamal devient leur caméraman. Vous vous attardez beaucoup sur cette facette cinématographique de leur organisation.
Jusqu'à Daech, on n’avait jamais vraiment vu un groupe terroriste faire usage de l'aspect audiovisuel à un tel point. Il y avait de la mise en scène, c'était dirigé. Il y avait un truc méthodique, froid et calculé, qui contrastait vraiment avec les vidéos des autres groupes de propagande, plutôt improvisées. Là, ils ont fait usage de tout leur talent audiovisuel pour créer une redoutable arme de propagande. D'un côté, ça marchait pour recruter beaucoup de jeunes, et d'un autre, ça rendait ce groupe encore plus terrifiant. C'est un aspect qu'on n’a pas encore beaucoup vu au cinéma dans la représentation de l'État islamique.
En ce sens, est-ce que Rebel n'est pas une manière de retourner l'arme qu'est l'audiovisuel contre eux ?
C'est en tout cas une façon de dévoiler l'envers du décor. On a cet État soi-disant islamique, qui veut avoir une légitimité religieuse, mais on va montrer que c'est un groupe de gangsters, qui va faire usage de la religion pour leur organisation criminelle. C'est une déconstruction de ce groupe qu'on voulait montrer à l'image.
Est-ce que vous ne craignez pas que certaines personnes qui ne partagent pas vos valeurs puissent “récupérer” le film ?
On essaie d'être le plus honnête possible avec ce qui s'est passé dans l'histoire. Bien sûr un film peut toujours être récupéré par n'importe qui. Dans notre cas, la majorité du public peut comprendre ce qu'est l'intention du film. Celui-ci est tellement ancré dans les faits qu'on peut le défendre sur ce point-là. Au bout du compte, on le considère comme un film historique, de la même manière que Platoon ou Né un 4 juillet sont des films historiques. La vérité n'est pas forcément politiquement correcte, mais c'est arrivé. Il y a eu la guerre civile en Syrie, il y a eu l'extrémisme. Ce sont des faits.
Rebel est à découvrir dans les salles belges à partir du 5 octobre.
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