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Broadway au cinéma : Art total… ou totalement anglophone ?

Alors que vous vous plongez dans ces pages, le phénomène Wicked est déjà probablement en train de ramener des milliers de belges dans les salles. Ou peut-être pas, car même si le succès du premier film au box-office mondial a été sensationnel, force est de constater que celui-ci est resté majoritairement anglophone. Quelles barrières pour cet art total qu’est la comédie musicale hollywoodienne aujourd’hui ? Qui sont les spectateur·ices de Wicked, quelles sont leurs attentes ? Et pourquoi ces films poussant la chansonnette réussissent-ils (ou non) à fédérer des millions de personnes à travers le monde ? Tentative de réponse(s).


© Universal Pictures
© Universal Pictures

Wicked, qu’est-ce que c’est ? 

Tout d’abord, une remise en contexte. Car si vous ne faites pas partie des fans invétérés de comédies musicales sauce Broadway, il n’est pas impossible que Wicked vous soit étranger. Fortement ancré dans la culture populaire américaine, Wicked ou La Véritable Histoire de la méchante sorcière de l'Ouest s’inspire directement du récit du Magicien d’Oz, écrit en 1900 par l’auteur américain Lyman Frank Baum et popularisé par le film éponyme de 1939. En 1995, soit près de cent ans après la parution du roman original, le romancier queer Gregory Maguire prend la plume pour raconter l’histoire d’Elphaba, la méchante sorcière de l’Ouest, et crée une origin story sur la jeunesse d’Elphaba et son amitié avec Glinda, la bonne sorcière du Sud, son ennemie mortelle dans l’histoire originale d’Oz. 


Alors que tout les sépare, le duo – qui se rencontre sur les bancs de l’Université Magique de Shiz – se lie d’amitié, et Glinda devient la meilleure amie de celle qui est jusqu’alors honnie de tous. Comment cette amitié s'effondre-t-elle, pour aboutir aux événements du Magicien d’Oz ? C’est ce que raconte Wicked. 


© Universal Pictures
© Universal Pictures

Un succès… mondial ?

Un bestseller en 1995, Wicked est adapté en comédie musicale à Broadway en 2003, et fait un carton. Le show est nommé pour dix Tony Awards (l’équivalent des Oscars pour le Théâtre) et en remporte trois, tout en propulsant la carrière de sa star Idina Menzel et en engrangeant des millions de dollars dès les premières années d’exploitation. 


Peut-on pour autant déjà parler de succès mondial ? Wicked la comédie musicale devient rapidement une ode à la différence, et le phénomène se répand comme une traînée de poudre dans les communautés LGBTQIA+. Fer de lance du tourisme new-yorkais aux côtés du Roi Lion ou de Moulin Rouge!, le spectacle génère des milliers de tickets par semaine, et est sacré comédie musicale de la décennie en 2009 par le magazine Entertainment Weekly. 

Succès mondial ? Pas tout à fait, car Wicked (comme toute comédie musicale façon Broadway) s’exporte, certes, mais pas sans défis. Linguistique, surtout. Au Royaume-Uni, où elle est jouée depuis bientôt 20 ans sans interruption, la barrière de la langue n’existe pas, de même qu’en Australie (joué depuis 2013) ou dans d’autres pays anglophones comme l’Irlande ou la Nouvelle-Zélande. En Allemagne, pays féru de comédie musicale, le spectacle a été joué de 2007 à 2011, puis pendant une année en 2022. 


En France, ou en Belgique ? Pas d’adaptation de grande ampleur, avant la sortie du film. Mais, du dire du secteur, rien de surprenant, car la comédie musicale est un genre plutôt boudé par les cinéphiles francophones.


© Ciné-Tamaris
© Ciné-Tamaris

En cinéma français, chanter n’est pas jouer 

Si le cinéma français a connu ses succès de films chantés avec Les demoiselles de Rochefort, Les parapluies de Cherbourg ou plus récemment (même si le statut de “comédie musicale” de ce dernier est discutable) Emilia Perez, force est de constater que la comédie musicale hollywoodienne contemporaine n’a jamais vraiment trouvé son public dans les salles obscures francophones. 


En 2012, alors que Les Misérables et son casting cinq étoiles (Hugh Jackman, Anne Hathaway, Russell Crowe) caracolent en tête du box-office américain, le film ne récolte que 127.000 entrées en France pour sa première semaine, à des années lumière de films comme Skyfall (1.839.000) ou même Sur la piste du Marsupilami d’Alain Chabat (1.728.000). Difficile de comparer en Belgique, les chiffres de box-office étant (encore) désespérément inexistants, mais on peut imaginer que côté francophone au moins, la tendance fut similaire. 


La faute à quoi ? “Kitsch”, “mièvre”, “Exception française dans le mauvais sens du terme”, chacun·e y va de son interprétation, mais le déni se ressent lorsqu’on feuillette la presse francophone. Jusque dans des contenus au titre (racoleur) plutôt direct : “Top 10 des raisons de détester les comédies musicales, cette erreur de la nature”. La comédie musicale, certains l’aiment chaude, certains pas du tout.


© Universal Pictures
© Universal Pictures

Sous-genre ? Dites plutôt surgenre !

Interrogée par Le Point en 2018, l’autrice et scénariste française Isabelle Wolgust, à qui l’on doit le Dictionnaire de la comédie musicale, souligne : “Il y a eu beaucoup d'écrits théoriques sur ce genre en tant qu'art de la scène, mais beaucoup moins sur le cinéma. Ici, la comédie musicale est méprisée, pas prise au sérieux et considérée comme un sous-genre. Aux États-Unis, la comédie musicale est née avec le cinéma parlant. En France, elle n'est arrivée qu'avec Jacques Demy dans les années 1960, donc il y a un décalage. Il y a aussi un problème de formation à la comédie musicale. Aux États-Unis, il y a cette tradition dans les lycées où le spectacle de fin d'année est toujours une comédie musicale. Pas chez nous. Mais ça arrive, via la scène. Aujourd'hui, de nombreux spectacles magnifiques affichent complet.” 


Et l’autrice, qui se définit comme “amoureuse” du genre, de conclure : “Plutôt qu’un sous-genre, c’est plutôt un surgenre puisque celle-ci représente la quintessence du cinéma. Ça permet de tout développer, et quand c’est réussi, c’est un concentré de beauté.” 


Ce n’est pas moi, grand amateur de cet art total (comme vous pouvez le lire dans les pages suivante) qu’il faudra convaincre. Après tout, quel meilleur art pour satisfaire les besoins de grandeur et de gloire de la machine à rêves hollywoodienne que la comédie musicale ? Si Hollywood semble cette fois avoir réussi son pari avec Wicked, un studio américain l’a compris bien avant les autres, appliquant depuis la fin des années 1980 cette recette avec force succès. 


© Disney
© Disney

L’exception Disney 

À toutes celles et ceux qui pensent (et affirment) détester les comédies musicales, on peut faire remarquer que bon nombre des Disney qui les ont vu grandir sont, au même titre que Wicked, Les Misérables ou Moulin Rouge!, des comédies musicales. Depuis La Petite Sirène (1989), les studios Disney ont par ailleurs développé une stratégie redoutable de diffusion de leurs œuvres, basée sur un doublage de qualité et des chansons iconiques, avec force succès. Ainsi, enfants et parents du monde entier ont pu vibrer au rythme de “Sous l’Océan” (interprétée en français par Henri Salvador), traduite en plus de 40 langues. Et qui n’a pas, au terme d’une journée de travail (ou d’école) monotone, entendu résonner les quelques notes de “Libérée, Délivrée” lorsque l’heure de la délivrance a enfin sonné ? 


Le modèle Disney, qui a fait le succès international de films comme Le Roi Lion, La Reine des Neiges (incarnée en VO par Idina Menzel), Encanto ou tout récemment Vaiana 2, a su habilement contourner les barrières linguistiques qui freinaient jusqu’alors la comédie musicale hollywoodienne, pour installer ce genre dans le coeur de millions. Et Wicked, avec son monde féérique à la lisière des princesses Disney, surfe sans aucun doute sur cette vague.  


Pour l’amour de la chansonnette

Alors que la conclusion de Wicked se profile aujourd’hui dans les salles obscures, et que s’achève notre plongée dans ce genre singulier d’une grande richesse, permettez-moi l’instant de la subjectivité pour défendre cet art total, aux possibilités infinies. Car dans un médium où l’on sacralise la maxime du “show, don’t tell”, quel plus bel outil que la chanson pour faire éclater cette distinction, et raconter tout en montrant ? La véritable force de la comédie musicale, c’est de construire sa narration au travers de chansons iconiques, d’insuffler émotions et conflits dans des couplets qui se répondent, de faire grandir ses personnages au travers d’introspections audibles. C’est enfin de combiner en une séquence écriture, chant, danse, théâtre et cinéma, en invitant le public à s’émouvoir aux côtés de ses personnages, et non simplement face à eux. Une émotion qui, pour et par l’amour de la chansonnette, est construite pour se partager, et pour nous accompagner bien au-delà de la salle.


Trois musicals incontournables du 21e siècle


© Lionsgate
© Lionsgate

La La Land de Damien Chazelle, 2016

Ode à la comédie musicale très justement titrée au Québec “Pour l’amour d’Hollywood”, La La Land de Damien Chazelle met en scène une jeune actrice (Emma Stone) et un pianiste (Ryan Gosling) qui tentent de trouver leur place dans la vibrante Los Angeles. Un film de tous les superlatifs, dont les scènes de chant s’inspirent du plus pur style musical de l’âge d’Or d’Hollywood. En 2017, le film obtient 14 nominations aux Oscars, égalant… Titanic. Visible en streaming.


© Disney+
© Disney+

Hamilton de Lin-Manuel Miranda, 2014

Comédie musicale de Broadway devenue véritable phénomène de société, Hamilton raconte l'ascension et la chute d’Alexander Hamilton, père fondateur méconnu des Etats-Unis et “immigré” américain ayant participé à la création du pays. Créé par Lin-Manuel Miranda, la comédie musicale interprétée par un casting majoritairement non-blanc a conquis un très large public multiculturel, devenant oeuvre porte-étendard des droits des minorités. Une captation live est aujourd’hui visible sur Disney+.


© Netflix
© Netflix

KPop Demon Hunters de Maggie Kang, Chris Appelhans, 2025

Alors que personne n’attendait Netflix sur le terrain de l’animation musicale trustée par Disney depuis des décennies, KPOP Demon Hunters est devenu en quelques mois le film original le plus vu de l’histoire de la plateforme. Un savant mélange d’animation de haut vol signée Sony Pictures Animation (la saga Spider-Man: New Generation), d’inspirations coréennes et de méga-tubes qui promet à cette franchise un avenir aussi prometteur que celui d’Elsa. 

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