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Chronique de voyage : vivre le cinéma hors du temps au Budapest Classics Film Marathon

Le cinéma, une œuvre collective à préserver, qui rassemble aujourd’hui comme hier. Initié par l’Institut National du Cinéma (NFI), le Budapest Classics Film Marathon se tient chaque année à la fin septembre, dans l’impressionnante capitale hongroise. Un festival – et une ville – que j’ai eu la chance de découvrir en tant que membre de l’Union de la Presse Cinématographique Belge, et représentant de cette union professionnelle auprès de la FIPRESCI, fédération internationale des critiques cinéma. Chronique d’un voyage trans-européen sous le signe du septième art.


C’est par un beau matin que j’embarque à Bruxelles dans l’ICE à destination de Francfort, pour un voyage de 1350 kilomètres sur le rail. Quinze heures plus tard, Budapest m’accueille, avec ses ponts imposants et ses cathédrales. 

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Il faut attendre le lendemain pour que le programme du festival s’offre à moi, entre deux sessions d’intenses débats sur l’état de la critique cinématographique mondiale. Et qui de mieux pour accompagner ce voyage vers le cinéma d’hier que Thierry Frémaux, venu à Budapest pour un événement qu’il affectionne depuis longtemps. Directeur artistique du festival de Cannes, de l’Institut Lumière à Lyon, et réalisateur de Lumière! l'aventure continue, que je découvre sur grand écran, l’homme présente ce second opus au micro de György Ráduly, directeur de la conservation à l’Institut National du Cinéma et directeur artistique de ce Classics Film Marathon. Dans le cadre splendide de l’Urania, cinéma construit dans les années 1890 et récemment restauré, Frémaux ne tarit pas d’éloges sur Lumière et son héritage, selon lui le “dernier inventeur du cinéma”. 


Même si je fronce un peu les sourcils face à ce romantisme teinté de fierté française, il ne fait aucun doute que découvrir ces films – 125, rien que dans ce second opus – sur grand écran en 2025 a été pour moi une expérience fantastique, hors du temps. Replonger dans le cinéma des Lumière et de celleux (crédités par le film ou non) qui ont permis de le rendre immortel, c’est voir un monde d’images, de cadres, de plans et de récits qui sont aux sources de tout un pan de notre histoire.

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Un sentiment de profonde humanité, malgré les traces indéniables d’une époque, d’un regard et d’un contexte socioculturel, se dégage de toutes ces images assemblées en un récit fluide. Accompagnés par la voix de Frémaux et la musique de Gabriel Fauré, compositeur français contemporain des Lumière, le film est un voyage unique. Mais ce qui me reste de celui-ci, au-delà de ces images d’une grande beauté, c’est la citation d’Agnès Varda qui ouvre cette compilation si singulière : “Les personnages des films Lumière, ce ne sont pas nos ancêtres, nos grands-parents ou nos aïeux, c'est nous.”


Ce nous, je le retrouve le lendemain, autour des tables de l’assemblée. Près de trente pays sont représentés, du Pérou à la Serbie en passant par le Japon, l’Allemagne, la France, la Belgique et jusqu’au Kirghizistan. Nous, ce sont aussi ces critiques, journalistes cinéma qui viennent partager leurs réalités, leurs opinions, leurs défis dans un monde où partout, la culture et la critique sont à défendre plus que jamais. Un moment d’échange éreintant mais incroyablement enrichissant. 


Il est 14 heures, fin des échanges. Après quatre sessions de discussions, il est temps pour les critiques de reprendre les plumes, leurs crayons ou leurs smartphones pour aller se concentrer sur ce qui les anime : le cinéma. 


Réunis autour de leur point commun, le producteur canadien d’origine hongroise Robert Lantos, ce sont trois grandes figures du cinéma qui se livrent à l’audience captive du Film Classics Marathon. David Cronenberg, Atom Egoyan et István Szabó sont tous trois souriants, heureux de venir partager leurs expériences passées dans un contexte bienveillant, presque intimiste.  L’on se croise, on discute, et ce n’est que lorsque les caméras apparaissent que je me rends compte que ce type assis sur le même canapé que moi il y a quelques instants et qui me disait vaguement quelque chose, c’était bien Cronenberg, le cinéaste derrière Videodrome, l’une de mes claques de jeune cinéphile.

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De gauche à droite: David Cronenberg, Robert Lantos, Atom Egoyan, György Ráduly


“[Ces trois hommes] n'avaient rien en commun, artistiquement parlant”, se remémore Robert Lantos, dans une rencontre qui tourne comme un hommage. “Et c'est pourquoi je souhaitais collaborer avec les trois. J'aime dire que je produis des films qui ont du sens.” En collaborant avec ces trois cinéastes — Cronenberg pour Crash (1996), Szabó pour Sunshine (1999), et Egoyan pour Ararat (2002) —, Lantos s’est formé une légende. Entendre ces trois cinéastes réfléchir à leurs carrières, c’est également (re)découvrir leurs films, des expériences de vie autant que des œuvres. Du tollé que recueillit Crash lors de sa présentation à Cannes aux instants suspendus contés par le vénérable Szabó autour de son Sunshine, en passant par les sourires et la franchise désarmante d’Egoyan, ce ne sont pas trois réalisateurs légendaires qui faisaient face à l’audience, mais trois êtres humains dans toute leur sensibilité. Un moment d’exception qui, de ce que j’ai pu comprendre par la voix de mes collègues amateurs et habitués de cet événement, fait toute la saveur de ce festival. 


Alors que j’écris ces lignes dans le train qui me ramène doucement mais sûrement vers Bruxelles, à travers la campagne allemande, je repense aux mots de Szabó, dont je dois encore découvrir le cinéma. Il y a vingt-cinq ans, racontait-il, alors que Apa (1996, son second long-métrage) était projeté à Moscou, le cinéaste était dans la salle. Silence religieux face à une scène particulièrement intense puis, quelques minutes plus tard, des mouvements, des chaises qui grincent. Puis le silence de nouveau. Et puis, ces mêmes mouvements reprennent. “Ils n’ont pas compris, où bien ce public moscovite réagit de manière particulière”, sont les pensées qui ont alors traversé l’esprit du cinéaste. Quelques mois plus tard, alors qu’il avait la chance d’accompagner le film à New York, Szabó vit la même expérience. Et ainsi de suite, partout à travers le monde. 


“Ma conclusion, c’est que les émotions humaines ne changent pas. À travers ces mouvements et ces silences, elles sont universelles.” Et quelle meilleure manière de ressentir ces émotions qu’ensemble, à travers ce partage qu’est l’expérience du cinéma? 


Pour en savoir plus sur le Films Classic Marathon, cliquez ici.


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