Elle est belle la vie de chat : s’amuser dans les hautes herbes, dormir sous la caresse du soleil… Il faut parfois éviter les bandes de chiens mais dans l’ensemble, le personnage principal de Flow n’est pas à plaindre. Jusqu’à ce que l’eau monte et qu’elle menace de tout faire disparaître. Long-métrage d’animation hors norme, sans parole et réalisé tout en 3D avec un budget minimal, Flow s’impose déjà comme une des perles de 2025. Rien que ça.
Adoptant la forme d’un conte (voire d’un récit biblique), le réalisateur letton Gints Zilbalodis peint un monde où l’humain a disparu. Il a laissé des traces, des bâtiments ou des sculptures abandonnées, mais cet univers appartient entièrement aux animaux. Le petit chat noir, principal protagoniste, rencontre au fur et à mesure de son périple tout une bande : un capybara débonnaire, un labrador libéré de l’esprit de meute, un lémurien cleptomane et un serpentaire (grand rapace blanc) majestueux mais incapable de voler. Ensemble, littéralement dans le même bateau, ils vont essayer de survivre à l’inondation irréelle qui semble engloutir la planète entière.
Difficile de ne pas comparer Flow avec Le Robot sauvage, sorti en fin d’année dernière. Les deux films partagent des thèmes similaires et mettent en scène des animaux confrontés à une catastrophe. Pourtant, ils sont presque des antithèses : le dernier DreamWorks est un concentré d’action, au montage rapide, usant des codes hollywoodiens pour amener une morale touchante, quoiqu’un peu simpliste, sur la préservation de la nature et l’importance des liens familiaux. Flow choisit au contraire de reposer sur son atmosphère, en déroulant de longues séquences (seulement vingt-deux dans l’ensemble du long-métrage), pour plonger son public dans une fascination presque philosophique. Avec le budget du Robot sauvage (78 millions de dollars) on aurait pu réaliser… plus de vingt Flow (3.5 millions) !
La magie du film réside dans sa capacité à faire interagir ses personnages-animaux d’une manière à la fois très réaliste – aidé en cela par un travail de modélisation qui ne cesse d’impressionner – et de plus en plus mythique. En effet, au sein du groupe disparate, l’entraide devient bientôt une nécessité à la survie. Au cours du récit, l’équipage rencontre fréquemment des groupes homogènes, entièrement composés de chiens ou de lémuriens par exemple, et les rebondissements vont régulièrement pointer que c’est précisément la diversité du groupe qui participe à sa richesse et lui permet d’aller jusqu’au bout.
L’approche visuelle du film paraît fortement inspirée par l’évolution récente des graphismes de jeux vidéo. On pense immédiatement à des jeux comme Stray (2022), qui présentait déjà les aventures d’un chat modélisé de manière bluffante. Là encore, Flow va à contre-courant. Ses équipes se sont éloignées des rendus « dessinés » en cel-shading à la mode aujourd’hui au profit d’un rendu plus artificiel mais en même temps plus immersif. Des immenses vagues destructrices aux séquences mettant en scène la silhouette royale des serpentaires, chaque nouvelle découverte provoque un frisson, un effet de saisissement profond.
Le long-métrage de Gints Zilbalodis fait partie de ces films d’animation susceptibles de plaire à tout le monde. Pour les enfants, il y a l’aventure magistralement filmée, parfois effrayante, parfois d’une beauté enivrante. Pour les adultes, une réflexion sur ce monde où l’humanité s’est éteinte et où la nature apparaît comme un cycle ininterrompu d’apprentissage, de destruction et de liens à nouer. C’est un film qui rappelle, même aux plus jeunes, qu’au cinéma l’image est reine, que la mise en scène est un langage et qu’il est encore possible de produire des œuvres à la fois totalement audacieuses et parfaitement réussies.
Réalisé par Gints Zilbalodis (Lettonie / France / Belgique, 85 minutes).