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Critique : Les Banshees d’Inisherin de Martin McDonagh

Comme les doigts de la main



De partners in crime dans Bons Baisers de Bruges (2008) à ex-amis en pleine rupture, il n’y a qu’un pas que Colin Farrell et Brendan Gleeson franchissent pour le dramaturge et réalisateur Martin McDonagh. Dans son nouveau film, le cinéaste raconte la fin de l’amitié entre Padraic (Farrell) et Colm (Gleeson) sur l’île fictive d’Inisherin en Irlande. Une décision subite qui plonge le premier dans une quête de réponses obsessionnelle et périlleuse, le second menaçant de se couper un doigt à chaque fois qu’il tente de s’adresser à lui. Ces deux personnages ne se comprennent plus. Si Padraic, naïf voire carrément simplet, ne voit pas de problème dans la futilité de son quotidien, le second, plus âgé, est directement confronté au temps qui passe, fatigué des discussions stériles qu’il tient accoudé au pub dès chaque début d’après-midi. Colm fait le triste bilan de la routine isolationniste dans laquelle lui et les autres insulaires se sont empêtrés, piégés dans une boucle temporelle que peu parviennent à briser.


Derrière l’apparente simplicité de son intrigue, Les Banshees d’Inisherin déborde de détails donnant du corps au conflit qu’il dévoile. Avec son folklore tout d’abord : des croix celtiques qui recouvrent ses paysages vallonnés à la musique traditionnelle irlandaise jouée par Colm. Mais surtout grâce à la présence macabre et errante de la fameuse banshee de son titre, créature mystique annonciatrice des futurs décès, ici personnifiée derrière les traits fantomatiques de Sheila Flitton. Ce qui semble au début être une histoire intégralement concentrée sur son duo principal gagne progressivement en ampleur. McDonagh, fort de ses expériences théâtrales, construit graduellement le portrait d’une véritable micro-société. Du flic véreux et abusif, à la postière commère en passant par le prêtre vulgaire et intrusif, chaque second-rôle compose les multiples facettes à la fois toxique, pathétique mais profondément humaine de cette île.


Face à eux, pas d’horizon mais le spectacle d’une guerre civile sanglante (et bien réelle cette fois-ci) qui déchira les indépendantistes irlandais entre 1922 et 1923. Car si McDonagh traite évidemment de la solitude, du temps qui file entre les doigts de ses protagonistes et de la postérité, le cinéaste établit également un parallèle entre la rupture destructrice de ces deux amis et un pays en proie à un conflit fratricide que personne ne semble comprendre à Inisherin.


C’est aussi par son ton que Les Banshees d’Inisherin se démarque. On le savait déjà avec Bons Baisers de Bruges et Three Billboards, McDonagh brille dans la balance qu’il opère entre tragédie et comédie. Il atteint ici l’apogée de son art grâce à une minutie de dialogues et de rythmique comique, permettant au rire, à la cruauté et à l’empathie de coexister naturellement au sein de chacune des paroles prononcées. Un équilibre qui n’aurait pas été possible sans les interprétations de ses acteurs principaux. En premier lieu celle de Colin Farrell, ici benêt attendrissant, dans une composition fragile et précise sans surjeu ni économie de moyens, qui lui a permis de décrocher un prix d’interprétation à la Mostra de Venise. Face à lui, Brendan Gleeson ne démérite pas et promène sa carrure imposante et sa mine rustre avec amertume et mélancolie. Mention également à Kerry Condon, tout aussi convaincante dans le rôle de Siobhan, la sœur de Padraic, exténuée par la toxicité des rapports qu’entretiennent les insulaires entre eux.


Faussement facile, véritablement maîtrisé et définitivement singulier, Les Banshees d’Inisherin est le résultat d’une formule arrivée à maturité combinant le meilleur de son auteur. Avant le prochain ?


RÉALISÉ PAR : MARTIN MCDONAGH

AVEC : COLIN FARRELL, BRENDAN GLEESON, KERRY CONDON ET BARRY KEOGHAN

PAYS : IRLANDE / ÉTATS-UNIS / ROYAUME-UNI

DURÉE : 114 MINUTES

SORTIE : LE 4 JANVIER







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