Entre l'art et la famille
Il est toujours périlleux pour un ou une cinéaste de s’attaquer à sa propre histoire. Le risque est grand d’enjoliver les choses, de sombrer dans une nostalgie compréhensible mais retirant à la réalité ce qu’elle a de passionnant, de fou, d’anecdotique ou de grotesque… The Fabelmans n’échappe pas totalement à cette enjolivement, mais le long-métrage parvient malgré tout à dépasser sa nature un peu narcissique – Steven Spielberg racontant sa jeunesse en la dissimulant sous les traits de son alter-ego Samuel Fabelman – pour dépeindre une histoire familiale vraiment houleuse, des personnages déchirés par leurs désirs et surtout prôner un amour du cinéma manifestement sincère. La réussite du film tient beaucoup à la maîtrise technique de son réalisateur. Construit en trois grands actes, il incarne presque à la perfection le « nouveau classicisme » hollywoodien qui s’est imposé après l’émergence et l’intégration du Nouvel Hollywood à l’industrie. Les plans sont précis, les mouvements de caméra et le montage élégants tout en évitant les effets de style trop marqués. Le cœur du long-métrage s’exprime par sa manière de raconter son histoire qui supporte toutes ses autres dimensions ; dont son sous-texte, on pourrait dire son message, explicité par des personnages clés, puis tissé en métaphores visuelles. Voilà une recette qu’on a déjà vu cent fois, mais Steven Spielberg nous rappelle pourquoi elle a su tant séduire le public à une époque (peut-être révolue). D’où ce sentiment d’être devant un beau et grand film du XXe siècle, qui se serait comme égaré dans les couloirs du temps. Il en a d’ailleurs certain des défauts : une tendance à individualiser ses problématiques à outrance ou à caractériser assez mal ses personnages féminins (à l’exception de la mère du héros jouée avec justesse par Michelle Williams). Il ne manque pas non plus de naïveté vis à vis du cinéma d’antan. La naïveté est loin d’être répréhensible en elle-même, nous en manquons surement parfois, mais elle conduit ici le cinéaste à s’épancher sur le génie artistique, forcément maudit parce qu’il est incompris, forcément lourd à porter parce qu’il est vécu comme une géniale blessure. Malgré cela, on l’a déjà dit, The Fabelmans est plus qu’une ode au cinéma, grâce aussi à ses acteurs et actrices impliquées, Paul Dano (le père) livrant une interprétation particulièrement touchante. Toute la partie se déroulant durant l’adolescence du héros amène aussi un tourbillon d’énergie, qui réanime le film dans son dernier acte. Et le caméo de David Lynch est particulièrement savoureux, tant il se permet de cabotiner.
Pourquoi alors le long-métrage s’est-il planté au box office américain, ne rapportant que 20 millions de dollars pour un budget estimé à 40 millions ? Cela dit sans doute quelque chose du public, peut-être lassé de voir des cinéastes regarder dans le rétroviseur pour interroger leur passé et celui d’Hollywood. Ce thème semble en effet à la mode avec, encore récemment, le Babylon de Damien Chazelle qui a connu, lui aussi, un échec retentissant sur le sol américain. Le message profond de Steven Spielberg ne manque d’ailleurs pas d’ambiguïté : si son amour du cinéma transpire tout au long du film, et transparaît notamment dans des scènes de montage presque fétichistes, il le montre comme un temps révolu. Celui des réalisateurs borgnes fumant cigare sur cigare dans leur bureau. Or, le moment qu’il explore, la période suivant la Seconde Guerre mondiale, était déjà un chant du cygne du cinéma américain classique qui allait être balayé par le Nouvel Hollywood à partir des années 1960 ! Dont faisait partie un certain… Steven Spielberg. Comme si le réalisateur n’était pas tant nostalgique de sa propre époque, que de celle qui l’avait inspirée au départ.
RÉALISÉ PAR : STEVEN SPIELBERG
AVEC : GABRIEL LABELLE, MICHELLE WILLIAMS, PAUL DANO
PAYS : ÉTATS-UNIS
DURÉE : 151 MINUTES
SORTIE : LE 22 FÉVRIER
Comentários