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Critique : TÁR de Todd Field

Symphonie en MeToo majeur

© Universal Pictures

Tout en majuscule, un accent sur le A, pour trois lettres dont la signification n'est pas immédiatement apparente. TÁR. Un titre à l'image de sa protagoniste : excessif, suffisant, et terriblement intrigant. Dès sa première apparition, Lydia Tár, cheffe d'orchestre berlinoise de renommée mondiale (fictive précisons-le), fascine. Étalant avec une aisance fabuleuse son intelligence mordante, la maestro expose à un public enthousiaste sa conception singulière de son métier. Peu importe si un bon nombre de références et de mots relatifs à la musique classique nous échappe, la singularité de son intelligence et de sa vision de l'art s'imposent, tout comme sa présence. Prêtant son aura et son prestige à cette femme qui s'est hissée tout en haut de sa profession, Cate Blanchett nous convainc qu'il est naturel que le monde tourne autour d'elle. Les autres actrices le lui rendent bien, de Noémie Merlant en assistante dévouée à Nina Hoss en compagne préoccupée.

Mais l'attrait provoqué par Lydia Tár est vénéneux. Comme de nombreuses personnes de sa stature, son génie et son pouvoir lui donnent une certaine impunité, dont elle profite et abuse. Plusieurs éléments essaimés à travers le récit suggèrent quelque chose de plus sinistre qu'une simple patronne odieuse : un ancienne collaboratrice en détresse, des emails inquiétants, des menaces terrifiantes, des silences et des regards chargés. De quoi est-elle coupable exactement ? Le film entretient une certaine ambiguïté à cet égard, mais lorsqu'un scandale à la MeToo se dessine autour d'elle, il est clair qu'elle n'est pas complètement innocente. Être une femme lesbienne ne semble pas l'empêcher de se comporter avec ses « protégées » de la même manière que d'autres hommes puissants.


TÁR n'a pas à cœur de traîner dans la boue son personnage principal ou d’en faire le symbole d'un système à abattre, pas plus qu'il ne cherche à excuser ses actions. Sa chute progressive se regarde avec des sentiments contradictoires, entre crainte, fascination et satisfaction. Dans ses nuances et dans ses paradoxes, le film fera à coup sûr débat, mais son propos complexe sur des enjeux contemporains n'est qu'une facette de la démarche du réalisateur et scénariste Todd Field. Pour son premier film en seize ans (le dernier, Little Children, remonte à 2006), le cinéaste ne manque pas d’ambitions.


© Universal Pictures

Ce qui frappe immédiatement c’est la rigueur de l'ensemble : les cadrages d'une précision millimétrée, la composition élégante des images, la dextérité du montage. Et les décors bien sûr, sophistiqués, imposants et glaciaux - un ravissement pour les sens… plutôt anxiogène. Tout est trop propre, trop rangé, et à mesure que le récit progresse, le sens de ce qui est réel ou non s'effrite. En plongeant dans la psyché de Lydia Tár, on s'aventure peut-être vers le surnaturel, ou l'horreur. Imprévisible, le film n'a de cesse de nous stimuler, de bousculer nos ressentis. Peut-être d'ailleurs faut-il en rire ? Avec son héroïne démesurée et éloignée des réalités, le film n'est pas loin de ressembler à une satire. Plusieurs répliques possèdent indéniablement un certain mordant, et le film, parfois cruel à l'égard de la maestro, ne résiste pas à en faire la cible de ses piques acerbes.


Malgré ce mélange des genres, Lydia Tár nous paraît, contre toute attente, bien réelle. Le foisonnement et la précision des détails du film y sont pour beaucoup, mais c'est la performance de Blanchett qui la rend crédible. Apportant sa propre star-power au rôle, elle fait tout pour nous persuader de la véracité de cette femme hors de l'ordinaire. Son existence, aussi fictionnelle soit-elle, ne peut pas laisser indifférent. Face au film, il faut faire face à elle, dans toute sa complexité. Et la confrontation s'avère passionnante.



RÉALISÉ PAR : TODD FIELD

AVEC : CATE BLANCHETT, NOÉMIE MERLANT, NINA HOSS ET MARK STRONG

PAYS : ÉTATS-UNIS

DURÉE : 158 MINUTES

SORTIE : LE 25 JANVIER










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