Basel Adra et Yuval Abraham vivent sur la même terre mais n’ont pas les mêmes droits. Autour d’eux, tout est fait pour les opposer. Le premier est Palestinien de Cisjordanie, où les habitants voient leurs maisons régulièrement détruites par l’occupation israélienne. Le second est Israélien, et chez lui les habitants ont le droit de vivre et circuler comme bon leur semble. De leur rencontre est né No Other Land, film collectif fait d’images d’archives récentes et moins récentes, qui raconte l’apartheid par ceux et celles qui le vivent. Documentant l’injustice pour œuvrer à la liberté et l’égalité de tous sur cette terre-là, voici une œuvre importante qui cherche à unir au lieu de diviser. A découvrir au cinéma sans tarder.
No Other Land est œuvre collective, où les choix cinématographiques et politiques ont été pris collectivement. Comment avez-vous travaillé à cela ?
Basel : Ce film est pour nous un acte de résistance collective. Nous sommes amis et activistes, et nous travaillons ensemble. On n’a pas fait le film juste pour “faire un film”. Personnellement, je filme la situation autour de moi depuis des années sans penser que je vais en faire un documentaire. C’est pareil pour Hamdan (Ballal, co-réalisateur palestinien du film, NDLR). Ça fait partie de mon activisme. Yuval et Rachel (Szor, co-réalisatrice israélienne du film, NDLR) sont journalistes, et on s’est rencontrés il y a 5 ans quand ils sont venus dans notre région pour effectuer un travail journalistique sur la situation. Ils ont continué à venir à Masafer Yatta, et de fil en aiguille nous sommes devenus proches. Un jour où on était tous ensemble, Hamdan a lancé cette idée de réaliser un film à partir des dizaines d’heures de documentation que nous avons, pour soutenir la situation et la communauté. Malheureusement aujourd'hui la situation est très différente, comme on le sait. Mais l'intention première de ce film est un travail activiste. Politiquement, nous partageons quasiment les mêmes valeurs, et les décisions prises dans le film sont collectives : si l’un de nous quatre n'est pas d'accord, on ne le fait pas.
« On espère que le film atteindra un large public, pas seulement les convaincus »
Le film a été projeté pour la première fois au festival de Berlin en février dernier, où il a remporté le prix du meilleur documentaire. Depuis, il a tourné dans énormément de festivals de cinéma– y compris Visions du Réel (où il a remporté le prix du Public) et le Cinemamed à Bruxelles dimanche dernier. Vous attendiez-vous à autant d'attention ? Quels retours recevez-vous du public ?
Yuval : Le prix à Berlin était une grande surprise. Je me souviens de Basel et moi assis dans la salle, très nerveux, et soudain ils ont prononcé nos noms… wow. C'est un moment que je n'oublierai probablement jamais. Jusqu'ici, le film a surtout été projeté en festivals, et l’accueil du public a été très positif. Chaque projection est généralement suivie d’un profond silence, beaucoup de gens pleurent… ça nous montre que le film fonctionne, pas seulement cinématographiquement, mais que sa représentation de la réalité parvient à toucher le public. Cependant, les personnes qui vont le voir sont globalement au courant de l'occupation, et comprennent que ce qui se passe est profondément injuste. C'est important bien sûr que ces personnes voient le film, mais j'espère que celui-ci parviendra à atteindre aussi un public plus large, et à toucher les gens qui ne sont pas déjà convaincus. Ce sont précisément ces gens-là que nous voulons atteindre aussi.
Le film montre de façon puissante la différence de traitement, l'apartheid et l'occupation à travers des faits concrets et des images indéniables. Pourtant il se trouve encore des gens pour détourner le sujet et vous accuser d’antisémitisme, ou de nier le génocide à Gaza…
Yuval : Oui, le souci, c’est que ces discussions n'amènent pas de changement. Bien sûr, nous ne sommes pas responsables de la situation, mais je pense que nous devons nous questionner sur notre impact immédiat. Que peut-on faire pour changer la situation ? Parce que l’important en ce moment, ce ne sont pas les longs discours : des milliers de personnes risquent de mourir, particulièrement dans le nord de Gaza. Comment arrêter ce massacre ? C’est vraiment important de se questionner sur comment convaincre les gens qui ne sont pas dans nos cercles de nous rejoindre. Personnellement, je pense que si ça implique de créer des alliances politiques plus larges, alors allons-y. Parce qu’il y a urgence, vraiment. Alors peut-être qu’il faut des compromis. Parce que les gens à Gaza actuellement... ils n'ont pas le temps. C’est pour ça que je dis que j'espère que notre film peut toucher des gens d'un public plus large aussi. Nous voulons vraiment influencer le changement de la façon la plus large possible.
« Au-delà de l’émotion qu’il peut provoquer, on souhaite que le film pousse les gens à agir. Sans actes, rien ne change. »
Que peut-on faire pour vous soutenir, après avoir vu le film ?
Basem : Je n'ai pas la réponse à cette question, mais nous continuerons de faire notre part. Montrer le film, parler aux journalistes comme vous, raconter les histoires. C'est important. J'espère qu’au-delà de l’émotion qu’il peut provoquer, le film pousse les gens à agir. Sans actes, rien ne change. On a besoin de solidarité, que des gens rejoignent la lutte, pour arrêter ça. Particulièrement les pays dont les gouvernements sont complices dans ce qui se passe.
No Other Land de Basel Adra, Yuval Abraham, Hamdan Ballal, Rachel Szor.
En salles ce mercredi 4 décembre.