Il a été médecin dans la série Hippocrate, arnaqueur à la petite semaine dans Le Monde est à toi, policier aux méthodes douteuses dans Bac Nord. Cette année, Karim Leklou revient en détenu se voyant accorder une permission dans Temps Mort, premier long-métrage de fiction d’Ève Duchemin qui sort dans nos salles ce 19 Averil. Rencontre avec un acteur touche à tout et passionné.
Comment est née votre participation au projet d’Ève Duchemin ? Qu’est-ce qui vous a plu dans le projet?
C’est Ève qui m’a contacté tout d’abord. On a d'abord discuté toute une après-midi et puis elle m’a envoyé son scénario. J’ai aimé son propos, que je trouvais original. J’aime beaucoup les films de prison mais je me suis rendu compte qu’en général, ce sont des films de genre qui s’intéressent surtout au délit et au crime. Ici, cela parlait de la sortie, de la manière dont les autres vous enferment par cette case et cette trace. C’est un film qui aborde l’axe de l’intime, qui se demande qui sont ces hommes lorsqu’ils rentrent chez eux, lorsqu’ils payent leur dette, etc. Ici, les personnages ne sont pas des archétypes de film de genre. Et puis c’est un film qui montre comment la prison vous enferme à l’extérieur : on le voit avec la dette du personnage d’Isaka Sawadogo et avec toutes les difficultés qu’il a pour trouver un emploi avec son passé carcéral. J’aimais bien aussi le fait que ce soit un point de vue sur trois générations : il y a le personnage d’Isaka qui approche la soixantaine, moi qui ai quarante ans et Jarod Cousyns qui est encore jeune. Ce ne sont pas les mêmes générations et donc pas les mêmes dégâts créés par la prison.
Le personnage d’Anthony est complexe, à la fois très tendre avec ses proches mais aussi fréquemment victime de ses propres débordements. Qu’est-ce qui vous a plu dans ce rôle ?
D’abord, c’est cette dualité entre sa tendresse et sa faiblesse. C’est un personnage qui est en lutte avec lui-même. On peut même se poser la question si sa place est vraiment en prison et pas en hôpital psychiatrique. Je trouvais aussi que c’est un personnage qui interrogeait le regard de l’autre et j’appréciais particulièrement toute cette partie avec cette “meute” familiale qui m’a notamment permis de collaborer avec beaucoup d’acteurs belges très talentueux comme Louise Manteau, Johan Leysen et Nicolas Buysse. Il y avait aussi une dimension “ogresque” un peu effrayante dans le personnage qui me plaisait beaucoup.
Le film s’avère très juste dans les interactions humaines tout en restant assez vague sur le passé des protagonistes. Comment avez-vous travaillé le hors-champ du personnage ?
On a beaucoup discuté du scénario avec Ève, et notamment du passé du personnage. Par rapport à la scène du repas avec la famille, on a fait beaucoup de dîners avec les acteurs avant le tournage pour que, une fois sur le plateau, il y ait déjà cette impression de “meute familiale”. Pareil avec le personnage de Louise Manteau (l’actrice joue l’ex-femme du personnage interprété par Karim Lelkou) : on a d’abord imaginé des scènes avec l’idée d’un couple qui va bien puis des scènes avec l’idée d’un couple en crise. Lorsqu’on a tourné la fameuse scène de retrouvaille entre elle et Anthony, tout l’imaginaire commun qu’on avait élaboré est ressorti dans notre jeu. On a également parlé de l’incarcération du personnage, de son addiction à certaines substances. Ce sont des choses qui ne transparaissent pas forcément dans le film - ce n’est pas le propos - mais on se doute que cette addiction l’a certainement mené à commettre un délit. Ne pas tout savoir, cela fait travailler l’imaginaire du spectateur.
Par rapport à la scène avec Louise Manteau, j’en conclus qu’il y a donc une certaine dose d’improvisation dans le film ?
Oui, clairement. Par exemple, pour la scène avec la chanson The Rythm of the Night de Corona, c’est un morceau de ma génération. Pour un mec de quarante ans, cette musique, c’est un souvenir de jeunesse. Dans une des premières versions du script, la musique jouée était Les Mots Bleus mais j’ai dit à Ève que ce n’était pas possible pour un type comme moi de danser sur Les Mots Bleus. C’est une musique de mon père ou de ma mère mais pas pour moi, ça n’aurait pas marché (rires). On a donc modifié ça. Mais oui, il y a souvent une forme d’impro, d’un côté il y a les dialogues écrits mais on peut se balader dedans. On a beaucoup discuté du scénario avec Ève et à la fin on avait une telle base commune qu’on pouvait se permettre des libertés. Pour moi, l’important, c’est d’être d’accord sur ces bases que sont le scénario et le personnage mais après, on peut aller chercher un peu plus loin. Jamais je ne me suis senti enfermé et cela allait bien avec mon personnage qui a une dimension ogresque : si on devient trop précis, on perd justement cette instabilité de l’ogre.
Après Un Monde l’année dernière, c’est la deuxième fois que les questions de paternité sont au centre de vos rôles. Est-ce une thématique qui vous touche particulièrement ?
Je ne sais pas, peut-être que cela va avec l’âge aussi, mais c’est comme d’autres thématiques. Là, ce que je trouvais intéressant, c’est que le père était en prison et qu’il essayait - de manière illusoire - de rester un père pour son fils. Après, moi ce n’est pas par rapport à une thématique que je fais du cinéma. Dans le fond il y a des dizaines de manières différentes d’aborder la paternité ou n’importe quel autre thème. Ici, par exemple, je viens de terminer le tournage d’un film sur l’avortement. Quelque part, c’est aussi sur une paternité mais ça n’a rien à voir avec Temps Mort ou Un Monde. Ce n’est pas la thématique en elle-même qui me motive.
Plus généralement, qu’est-ce qui vous motive , en tant qu’acteur, à choisir vos rôles ?
Franchement, je ne sais pas, j’aime l’idée de faire des choses différentes. J’aime bien travailler avec des gens différents, je n’ai pas d’univers préconçu, j’aime changer de genre. Par exemple, je ne fantasme pas sur l’idée d’un réalisateur ou d’une collaboration avec un acteur. Ce qui m’intéresse, c’est la rencontre entre un réalisateur, un personnage, un scénario et les autres acteurs. C’est tout ce projet, ce mix, qui me donne envie. La politique du nom ne m’intéresse pas.
Le grand public vous a découvert avec Le Monde est à toi de Romain Gavras (2018), où vous vous illustriez dans la comédie. Depuis, vous n’êtes plus revenu à ce genre. Pensez-vous refaire de la comédie à l’avenir ?
Oui bien sûr. Récemment, j’ai joué dans Vincent doit mourir de Stéphan Castang, qui n’est pas une comédie mais qui a des moments qui me font marrer. C’est l’histoire d’un gars que tout le monde veut tuer sans savoir pourquoi. C’est un film étrange, à la croisée des genres entre film d’anticipation, film de genre et comédie mais je trouve que c’est parfois très drôle.
Ce n’est pas le premier film belge que vous faites - vous aviez joué dans Un Monde de Laura Wandel l’année dernière mais aussi dans Les Géants de Bouli Lanners (2011), existe-t-il une différence entre la manière dont sont faits les films en Belgique et en France ?
Il y a une hiérarchie moins prononcée en Belgique qu’en France. On a davantage l’impression de faire un film en “commun” je dirais. Après, il y a plein de cinémas belges différents, que ce soit Ève Duchemin, Laura Wandel ou Bouli Lanners, ce n’est pas du tout la même chose. C’est ça qui est beau aussi, le cinéma est un art plus puissant que la nationalité. Personnellement, j’adore tourner ici car il y a une puissance dans les acteurs, les réalisateurs et les techniciens que j'admire beaucoup. J’aime beaucoup le cinéma belge, je trouve que c’est un des plus beaux cinémas européens et j’espère qu’on va lui donner plus de moyens dans les commissions de financement. C’est un cinéma qui le mérite.
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