top of page

Suicide, graffitis, pénis : Cinq questions aux cinéastes à l’origine de l’étonnant Vitrival

© Naoko Films
© Naoko Films

Dans le petit village de Vitrival, il ne se passe pas grand-chose. Enfin, si ce n’est une vague de suicides que l’on peine à expliquer, et des graffitis à caractère sexuels qui apparaissent un peu partout. Pour Petit Pierre et Benjamin, cousins et policiers locaux, les patrouilles routinières prennent désormais un tout autre sens.


Sous-titré le plus beau village du monde, Vitrival est le second long métrage de fiction du singulier duo Noëlle Bastin et Baptiste Bogaert. Un film étonnant, construit dans le village où Bastin a grandi et avec de nombreux comédien·nes de leur entourage familial. Une plongée tantôt comique, tantôt existentielle mais toujours avec tendresse dans une ruralité méconnue et pourtant universelle. 


Sélectionné à Rotterdam, récompensé à Pékin, Vitrival sort ce mercredi dans les salles belges. Rencontre avec le duo. 


© Naoko Film
© Naoko Film

Dans votre film, il est difficile de discerner où s’arrête la réalité et où commence la fiction. Comment avez-vous conçu ce film, et comment celui-ci a-t-il évolué au contact du casting ? 

Avant de commencer le tournage, nous avions un scénario complet, mais on s’est rapidement rendu compte que celui-ci était un poil trop narratif et qu’il s’écartait assez fort des réalités du village. Ce n’était pas notre intention et, pour être francs, on s’emmerdait un peu à la lecture. Pour nous sortir de cette impasse, nous avons utilisé nos trois temps de tournages [le film est scandé par trois saisons, tourné en trois tournages étalés sur un an, NDLR] pour réécrire au fur et à mesure, et nous repositionner après chaque session de tournage avec un pré-montage, pour voir où l’histoire nous menait. Ce n’est qu’après avoir bouclé le troisième tournage que nous avons su où menait le film. 


Pour ce qui est du casting non-pro, on a souvent tendance à associer cela avec un côté improvisé, or ici 95% des séquences sont écrites. Cette impression d’impro vient peut-être du fait que l’on sache que ces actrices et acteurs ne sont pas du métier. De notre expérience, ils sont en fait extrêmement justes, et très naturels, avec une très bonne capacité d’apprentissage de texte presque sans préparation.


© Naoko Film
© Naoko Film

Comment s’est passé le tournage ? 

Nous avions la chance de connaître les lieux, même si nous les avons en quelque sorte redécouverts avec ce film. On a fait beaucoup de repérages en amont de manière à retirer la couche de souvenirs issus de l’enfance de Noëlle, et de se réapproprier pleinement cet environnement, jusqu’à ce qu’il devienne presque une part de nous.


Étant en équipe technique réduite (5 ou 6 au total), il nous était très facile d’adapter certaines séquences, lorsqu’on se rendait compte qu’elles ne fonctionnaient pas. 


© Naoko Films
© Naoko Films

Et qu’en est-il de la mise en scène ? 

On a une certaine affinité avec le plan séquence fixe. C’est une contrainte de départ qui permet de voir comment les corps s’agencent, tout en filmant leur mouvement, les visages, sans trop d’artifices. Nous sommes de toute manière assez réticents avec le découpage. Cela peut paraître bête, mais pour ce film, on a utilisé pour la première fois le champ contre-champ ! [rires] Le plan séquence, ça nous oblige à avoir une séquence qui tient d’elle-même, pour ne pas avoir à bricoler ensuite. 


Vitrival, c’est un film qui parle de la ruralité, de la solitude, et pose de nombreuses questions existentielles. Et en même temps, c’est un film qui parle de bites. Pourquoi ?

Disons que l’étincelle de la bite, si on peut s’exprimer ainsi, vient d’un fait divers réel : il y a réellement eu une “épidémie de graffitis à caractère sexuels” à Vitrival, même si ceux-ci étaient beaucoup plus localisés (autour d’une école primaire), et probablement le fait d’un enfant au vu du type de graffiti. Ce qui nous a interpellé, c’est la réaction des gens, qui (contrairement à nous) ne trouvaient pas ça drôle du tout. 


Derrière ces graffitis, il y a aussi le travail de nettoyage, le contact avec la matière, et aussi ce qu’ils révèlent d’une communauté. Au début du film, c’est une affaire intolérable, et puis petit à petit cela devient une nouvelle normalité. Ce qui est aussi intéressant, c’est la manière dont il est plus facile de tenter d’agir sur l’épidémie de graffitis que sur la vague de suicides, sujet bien plus grave mais beaucoup plus difficile à appréhender.


© Naoko Films
© Naoko Films

Existentiel, comique, tendre, votre film est un peu tout ça à la fois. C’est quoi pour vous, le cinéma ? 

Noëlle Bastin : C’est drôle, parce que c’est une question que je me suis récemment posée, alors qu’elle ne m’était pas venue à l’esprit avant. Pour moi, avant toute réflexion sur la forme cinématographique, le cinéma est d’abord un exercice de l’altérité. Dans notre pratique, autant qu’en tant que spectatrice, c’est ce qui me galvanise à chaque fois que je vois un bon film, cette altérité à l'œuvre. 

Baptiste Bogaert : Et pour moi, je pense le cinéma, c’est véritablement une mise en forme du chaos du réel. Une manière de trouver des agencements qui font sens, et qui permettent de voir la vie d’une autre manière. … C’est un peu cucul non ?

Noëlle Bastin : C’est cucul, mais c’est bien.



Vitrival sort dans les salles le 26 novembre.

bottom of page