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Critique : Call Jane de Phyllis Nagy

Il suffira d'une crise


© Wilson Webb

Ça commence avec le son énervé d’un album des Velvet Underground. Joy allume le tourne-disque et danse. Dans cette scène, la révolution musicale entamée par le groupe semble annoncer la révolution personnelle que Joy, interprétée par Elizabeth Banks, va bientôt devoir vivre, en même temps que le reste de la société, sur les questions féministes. Femme au foyer, déjà maman d’une adolescente, elle tombe enceinte sans l’avoir prévu. La scène se termine lorsque Joy s’évanouit car cette grossesse met sa vie en danger ; pas suffisamment cependant pour convaincre un ensemble de médecins, tous masculins, de lui « accorder » un avortement pour raison médicale. Selon eux, elle doit mener sa grossesse à terme, et ce malgré les risques graves qui pèsent sur sa santé. Elle avait pourtant cuisiné des biscuits à ce comité qui ne daigne même pas la regarder, encore moins prendre en compte son avis. Il s’agit là d’une liberté historique car, en réalité, Joy n’aurait même pas pu être présente dans la pièce pour assister à cette réunion.


Dans Call Jane, la réalisatrice Phyllis Nagy nous plonge dans le Chicago des années 1960, avant la légalisation de l’avortement aux États-Unis. Même si le sujet est lourd, le film permet d’appréhender plutôt joyeusement et avec certaines touches d’humour le bouillonnement intellectuel et militant de ces années-là, en retraçant l’histoire vraie de ce réseau de femmes qui se réunissaient secrètement sous le nom de code « Jane » pour pratiquer des avortements clandestins. Après avoir tout essayé pour provoquer une fausse couche, même imaginé se jeter dans les escaliers, Joy appelle « Jane » et rencontre les nombreuses femmes qui composent ce groupe solidaire, dont Virginia, interprétée par Sigourney Weaver, qui est à la tête du réseau. La scène de l’avortement est longuement filmée au plus près du visage de Joy et nous fait passer par un ensemble d’émotions avec elle, de la peur jusqu’au soulagement. Le film ne fait pas l’impasse sur les dissensions internes au féminisme, et sur les difficultés accrues pour les femmes précarisées ou racisées.


En interview, Phyllis Nagy avoue avoir ignoré l’existence du collectif Jane jusqu’à sa lecture du scénario écrit par Hayley Schore et Roshan Sethi. C’est honteux, estime-t-elle. Il faut dire qu’on n’apprend pas l’histoire des femmes à l’école. Des parties entières de ce récit nous manquent et il est important que le cinéma s’en empare pour nous la faire connaître et revivre. En Belgique d’ailleurs, on n’appelait pas « Jane » à l’aide, mais « Marie ».


De construction plutôt classique, Call Jane se termine en 1973, lorsque l’arrêt appelé Roe v. Wade, qui légalise l’avortement aux États-Unis, est adopté. Les militantes vont pouvoir souffler… enfin c’est ce qu’elles espèrent ! Le long-métrage a été tourné alors que l’avortement était encore légal dans le pays, il sort cependant maintenant que l’arrêt Roe v. Wade a été révoqué, rendant l’avortement très difficile ou à nouveau interdit dans de nombreux États. Une situation qui rend malheureusement le propos du film plus nécessaire que jamais.


« N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question », avait averti la féministe française Simone de Beauvoir. Au vu du contexte dans lequel il sort, Call Jane illustre magnifiquement cette citation.


RÉALISÉ PAR : PHYLLIS NAGY AVEC : ELIZABETH BANKS, SIGOURNEY WEAVER, KATE MARA, WUNMI MOSAKU PAYS : ÉTATS-UNIS DURÉE : 121 MINUTES SORTIE : LE 30 NOVEMBRE



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