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Hollywood face à ses reflets : entre démesure et nostalgie

Dernière mise à jour : 20 janv. 2023


© Sony Pictures

Depuis toujours, les excès du show-business fascinent autant qu’ils se réfléchissent. Alors que le réalisateur de La La Land revient sur nos écrans avec Babylon, un projet gargantuesque dans le Hollywood décadent des années 20, retour sur la tendance du cinéma américain à entretenir sa mythologie entre glorification, autocritique et dialogue avec le passé.


L’ombre des figures et des films de la grande époque plane mélancoliquement sur les décennies 2010-20 comme en témoignent Licorice Pizza (Paul Thomas Anderson, 2021), Once Upon a Time in… Hollywood (Quentin Tarantino, 2019) — avec Margot Robbie et Brad Pitt, également à l’affiche de Babylon — , Avé César ! (Joel et Ethan Coen, 2016) ou encore La La Land (Damien Chazelle, 2016). En miroir de notre société ou en profession de foi du septième art, l’heure est à la rétrospection sous toutes ses formes. La production frénétique de remakes, reboots, suites et préquelles accentue l’impression d’une créativité qui se fige dans le souvenir. Le succès et le couronnement aux Oscars de The Artist (Michel Hazanavicius, 2011), hommage à la période charnière, entre 1920 et 30, du passage du muet au parlant, a réaffirmé l’amour-propre d’une industrie encline à revisiter son Histoire. Au risque de lasser.


Pourtant, à y regarder de plus près, la Cité des Anges ne s’est pas faite en un jour, et Hollywood a, de tout temps, alimenté son image et fait preuve d’introspection. Entre 1910 et 1940, Charlie Chaplin, Buster Keaton et des longs-métrages tels que Mirages (King Vidor, 1928) et Une étoile est née (William A. Wellman, 1937) mettaient déjà en scène les métiers du cinéma et les affres du milieu. À cet égard, les années 50 constituent un florilège de classiques reflétant la capacité du monde du spectacle à représenter aussi bien la magie du divertissement et ses mutations (Chantons sous la pluie, Stanley Donen et Gene Kelly, 1952) que ses manipulations impitoyables et ses fantômes (Boulevard du Crépuscule, Billy Wilder, 1950 ; Les Ensorcelés, Vincente Minnelli, 1952). Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Avé César ! choisit cette décennie 50 pour parodier les faux-semblants des stars sur fond de maccarthysme, paranoïa nucléaire et de concurrence de la télévision. L’impact du duo Stanley Donen / Gene Kelly reste particulièrement prégnant : le film des frères Coen pastiche, entre autres, les chorégraphies de Kelly avec un Channing Tatum en tenue de marin, tandis que La La Land, avec sa pléiade de références aux comédies musicales, emprunte des motifs et des scènes à Chantons sous la pluie.


Avec un traitement acerbe, la connexion quasi pathologique entre les mœurs des célébrités et la violence masculine a traversé les âges et nourri un imaginaire collectif unissant la corruption, la mafia et Hollywood. Cette veine a révélé la brutalité de l’envers du décor : du film noir Le Violent (Nicholas Ray, 1950) à Mulholland Drive (David Lynch, 2001) en passant par Blow Out (Brian De Palma, 1981) sans oublier les adaptations des romans de James Ellroy, L.A. Confidential (Curtis Hanson, 1997) et Le Dahlia noir (Brian De Palma, 2006). Avé César !, de son côté, reprend cette donnée de manière loufoque en mentionnant les maris bandits de l’actrice interprétée par Scarlett Johansson, et les combines des studios pour se protéger des scandales.

© Universal Pictures

Fort de ses outrances, Hollywood a pu compter sur la comédie et le détournement (parodie, pastiche, satire) pour railler ses clichés avec une autodérision et un marketing bien rodés. Jerry Lewis, Blake Edwards, Mel Brooks ou encore le collectif des ZAZ ont joyeusement dynamité le cinéma américain. Aussi, la mise en abyme (Last Action Hero, John McTiernan, 1993 ; Tonnerre sous les Tropiques, Ben Stiller, 2008) a offert une autre manière de parodier les poncifs des genres (action, guerre) évoqués. Dans cette optique, Avé César ! pastiche le péplum Quo Vadis (Mervyn LeRoy, 1951) pour introduire, via le procédé du film dans le film, sa dialectique entre la foi et le chaos du studio Capitol Pictures.


Dans le domaine de l’horreur, les slashers Scream de Wes Craven ont poussé le jeu réflexif et la métaréférence à un niveau supérieur, à tel point que le troisième volet est devenu, avec le recul, un cas d’école de la relation ambiguë que le divertissement entretient avec ses vices. Produit par Harvey Weinstein, depuis lors condamné pour diverses agressions sexuelles et viols, Scream 3 (1999) évoque directement les abus d’un producteur à l’encontre d’actrices débutantes. Difficile, après le séisme nécessaire provoqué par le mouvement MeToo, de ne pas questionner ces échos troublants au sein même d’une entreprise capitaliste où le silence a longtemps régné en maître.


En 2019, le réalisateur de Kill Bill, obsessionnel de la citation, re-plongeait avec Once Upon a Time in…Hollywood au cœur de l’année 69 — au moment où s’entrechoquaient passéisme et jeunesse libertaire — pour interroger notre rapport au réel et à la fiction. Le long-métrage de Quentin Tarantino souleva alors des débats qui ont fait ressortir l’un des paradoxes de la postmodernité : l’autocritique du système hollywoodien et de ses stigmates sexistes et racistes se heurte aux réflexes mélancoliques d’auteurs qui cherchent à décalquer le processus d’iconisation de leurs modèles d’antan.

En 2023, la psychanalyse du show-business, tiraillé entre le pouvoir d’attraction de son héritage et les aspirations progressistes de notre époque, se poursuit. En attendant Damien Chazelle, Steven Spielberg, et les autres.


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