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Quentin Moyon

Dossier : Où s’asseoir dans la salle de cinéma ?

Dernière mise à jour : 3 févr.


Samedi 10 décembre. Je découvre en salle le film Le Temps d’aimer de Katell Quillévéré. J’arrive dans les premiers, mais des places, au fond de la salle, sont déjà occupées. Je m'assoie dans le premier tiers, au milieu, en évitant de me retrouver derrière ou devant quelqu’un. Tout en réservant une place à côté de moi pour entreposer mes affaires. Et alors que le flux des spectateurs se poursuit, même après le début du film, une réflexion me vient devant une salle aux deux tiers pleine, mais de manière très sporadique. Où s'assoit-on dans la salle de cinéma et pourquoi ?


Plusieurs critères entrent en jeu concernant le choix d’un siège de cinéma. Tout d’abord, une poignée de variables qualifiées d’objectives, à commencer par les aspects spatio-temporels. La règle c’est : premiers arrivés, premiers servis - hormis dans quelques salles comme celles UGC qui misent aujourd’hui sur la réservation en ligne de sa place. On observe alors souvent, qu’en fonction du positionnement de la porte d’entrée, bouche déversant les flux de spectateurs, les sièges situés à proximité de la porte sont les plus naturellement assaillis. Ce n’est qu’alors, que rentrent en compte les paramètres techniques : l’importance de la qualité sonore et visuelle. Interrogés respectivement dans les magazines américains Popular Science et New York Times, le chef projectionniste des salles de cinéma new-yorkaises Nitehawk, Joe Muto, et le directeur technique de THX, Steve Martz, conseillent tous les deux de s’asseoir pile au milieu de la rangée, aux deux tiers de la salle en partant de l’écran. Cela permet de diminuer la fatigue oculaire, de ne pas lever la tête trop haut ni trop bas et de pouvoir visualiser la totalité de l’écran facilement sans mouvements de cou inutiles et douloureux. C’est aussi la place qu’utilisent les techniciens pour paramétrer la sonorisation d’une salle. 


Donnie Darko de Richard Kelly 2001 © Flower Films

Mais à ces critères purement objectifs, s’ajoutent des comportements mus par d’autres intérêts plus subjectifs, susceptibles de s’opposer aux premiers cités. Au sein même des individus, les socialisations et éducations reçues entraînent des attitudes différentes. Selon le sociologue Emmanuel Ethis, une séparation presque générationnelle s’opère entre les “cinéphiles” qui s’installent dans les trois premiers rangs recherchant une immersion totale dans le film et les “téléphiles” qui eux s’installent au fin fond de la salle, recherchant la proximité du petit écran. Se pose donc la question de la consommation propre aux nouvelles générations, biberonnées au smartphone, dont l’écran est encore plus petit, et qui d’emblée semblent plus à même de se placer au fond de la salle. Évidemment, les comportements varient aussi au regard du genre du film que l’on va voir. Ainsi, si le drame nécessite une forte immersion, le film d’horreur a tendance à pousser les spectateurs vers le fond de la salle. 


Des manières qui évoluent également au regard de son entourage. La sortie au cinéma reste, avant toute chose, une expérience collective qui implique une forme de représentation, de mise en scène de soi. Si les groupes auront tendance à s’installer au milieu et à parler fort, occupant l’espace, les couples eux, préféreront le positionnement dans un angle, à l’abri des regards. Il y a aussi cette règle tacite, qui fait que l’on s'installe en fonction des autres, laissant bien souvent une place vide entre un groupe social et le sien. Claude Forest, sociologue qui s’est longuement intéressé au sujet, pointe enfin du doigt deux comportements particuliers chez les spectateurs qui occupent le haut de la salle : une recherche de sécurité, ainsi qu’une recherche de domination de l’espace. Du haut de la salle on peut tout contrôler, tout voir venir, même dans le noir. 


Reste une question ouverte, celle de la sortie de salle, une fois la lumière revenue et le générique déroulé. Et qui de mieux que Roland Barthes pour la formuler : “Comment se décoller du miroir ?” Libre à chacun d’en juger !


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