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Rencontre avec Cécile de France

© Carole Bethuel

À l'affiche de Bonnard, Pierre et Marthe à partir de ce 10 janvier, l'actrice belge prête ses traits à la mystérieuse Marthe Bonnard, qui a vécu dans l'ombre de son illustre mari. Rencontre.


Connaissiez-vous Marthe Bonnard avant de l'incarner ?


Pas du tout ! Très peu de gens la connaissent. À l'époque, c'était déjà un personnage très énigmatique, puisqu'elle a menti sur son identité. Il y a beaucoup de gens qui ont essayé de comprendre qui était caché derrière ce nom d'aristocrate italienne, puisque Marthe de Méligny, c'est un nom qu'elle s'est inventé pour accéder à la classe sociale, et à un idéal, qui était celui de Pierre Bonnard. Avant qu'ils ne s'éloignent du monde intellectuel et artistique de Paris, elle avait suscité beaucoup de questionnements. Tout le monde avait essayé de comprendre qui elle était, et beaucoup de personnes ont écrit sur elle. Ce qui est assez intéressant pour moi, qui suis comédienne, et qui a la responsabilité d'interpréter un personnage qui a vraiment existé.


Vous avez fait beaucoup de recherches sur elle ?


Martin Provost, le réalisateur du film, m'a donné toute une pile de livres. J'ai pu me plonger avec délectation dans toutes ces œuvres, écrites par des personnes qui, comme Pierre, ont été comme envoûtées par le mystère que dégageait Marthe. Elle a eu une enfance très douloureuse, elle avait beaucoup d'anxiété à cause de ses origines sociales, et le fait qu'elle n'ait pas pu en parler avec l'homme qu'elle aimait, alors qu'ils ont eu une histoire d'amour qui a duré plus de 50 ans, était très difficile. Ce mystère a été la source de toute l'œuvre de Pierre Bonnard, puisqu'il l'a représenté plus de 1000 fois, avec toujours un visage flou, pas net. Il sentait bien qu'elle cachait quelque chose. Souvent, ses yeux sont fermés ou son visage est en profil perdu. Ou elle est de dos en entier. Et quand il représente son visage, elle est toujours enfermée dans un monde inaccessible, secret et mélancolique. C'est extraordinaire de se dire que cette énigme, ce mystère qui se dégageait d'elle, a été la source d'inspiration d'un des plus grands peintres de notre temps, et qu'en même temps, ça a provoqué énormément de souffrances chez elle, puisqu'elle a fini folle et psychotique.


© Renaud-Konopnicki

Souffrances qu'elle a exprimées par la peinture.


La peinture lui a permis de transcender sa douleur sur les toiles. Mais elle n'est pas devenue peintre pour devenir célèbre, ou par ambition, ou pour plaire, c'était vraiment pour transcender sa douleur. Je conseille vraiment à tout le monde d'aller voir ses toiles, qui représentent aussi, comme celles de Pierre, les petites choses du quotidien, l'intimité, des choses toutes simples de la vie, mais qui, quand elles sont représentées avec beaucoup d'intimité et de sensibilité sont très fortes. C'est une œuvre très intimiste, et qui raconte son lien avec la nature, les animaux. Ils étaient tous les deux amoureux de la nature, elle parce qu'elle venait de la campagne, et lui parce qu'il aimait cet isolement et n'aimait pas forcément faire partie des mondanités et de la bourgeoisie parisienne, même s'il en venait.


On vous voit peindre et dessiner dans le film d'ailleurs. Est-ce qu'un ça a été un challenge ?


J'ai plus de facilité que Vincent [Macaigne] parce que la peinture de Pierre Bonnard demande plus de technicité que celle de Marthe. Elle n'avait aucune ambition de devenir peintre, il y avait quelque chose d'assez enfantin, naïf et très simple dans son travail. Elle dessinait avec des pastels. Comme on le voit dans le film, il y a quelque chose d'assez physique et animal dans sa manière de dessiner. J'ai pris beaucoup de plaisir à interpréter mon personnage, et à dessiner pour de vrai. Ça provoque une surimpression d'émotions dramatiques assez intéressante pour une actrice.


Vous incarnez Marthe Bonnard à plusieurs âges de sa vie, notamment ses dernières années. Au-delà du maquillage qui est nécessaire pour vous vieillir physiquement, comment est-ce qu'on appréhende cette transformation ?


C'est effectivement difficile, mais on n'est pas tout seul. C'est vraiment le rôle du metteur en scène de nous guider, de nous diriger pour que ça soit juste, sincère. Ça nécessite une grande attention, une grande réflexion et implication. Il faut être sur le coup, et faire le mieux qu'on peut pour ne pas rater. Parce que lorsqu'on voit l'artifice, tous nos efforts se dissipent en une seconde.


C'est le premier film que vous tourniez avec Martin Provost, comment s'est passée votre collaboration ?


D'abord j'étais très honorée qu'il me propose un rôle comme celui-là. C'était déjà un très très beau cadeau, une très grande marque de confiance qu'il me faisait. C'est vraiment un rôle très complexe, avec énormément d'émotions différentes à interpréter. Il y a la folie, la jeunesse, la vieillesse, la partie menaçante et dangereuse du personnage aussi. On a eu beaucoup de jubilation et de tendresse à collaborer ensemble. Il a toujours veillé à ce que je sois bien, et à respecter les limites de ce que je pouvais donner ou pas. Ça s'est fait vraiment avec beaucoup d'amour et d'écoute.


Marthe Bonnard, malgré ses faux noms, malgré ses efforts pour cacher ses origines, a du mal à être autre chose qu'elle-même. Est-ce qu'on ne retrouve pas ce schéma dans de nombreux rôles que vous avez joués ? Ce besoin qu'ont les femmes que vous incarnez d'être naturelles, sans artifices ?


C'est très difficile à dire, parce que tout ça est évidemment inconscient. Ce n'est pas calculé. Un jour, je reçois un scénario, j'en tombe amoureuse, le personnage qu'on me propose me fait terriblement envie, et le réalisateur me fait aussi rêver. Et voilà que je m'engage dans un projet dans lequel je suis à 100% impliquée, investie, passionnée. Je n'ai pas ce regard sur moi-même. Après, ça raconte peut-être des choses sur moi, mais tout ça est un petit peu malgré moi. C'est plus une question d'intuition, un plaisir presque enfantin. Comme quand on est avec ses copains, et qu'on ouvre la malle de déguisement. Quand on joue avec sincérité, il y a des choses de nous qui transparaissent, mais on ne fait que rater une histoire finalement.

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