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Rencontre avec François Ozon : Quand vient l'automne

Photo du rédacteur: Julien Del PercioJulien Del Percio

Dernière mise à jour : 13 oct. 2024

En apparence, Michelle est une grand-mère tout ce qu’il y a de plus tranquille : elle aime se balader en forêt, lire un livre devant l’âtre, passer du bon temps avec son petit-fils. Mais lorsque sa fille manque de mourir en ayant mangé ses champignons chaleureusement cuisinés, le doute s’installe : Michelle a-t-elle vraiment voulu empoisonner sa fille ?  Avec Quand vient l’automne, François Ozon prend le contre-pied de l’extravagance de Mon Crime et livre un film épuré et troublant sur les non-dits et les actes manqués. Rencontre.

Quand vient l'automne
© September Film

Quand vient l’automne est un film étonnant, qui navigue entre plusieurs genres - drame, thriller, fantastique. Comment décririez-vous le projet ? 


François Ozon : J’ai du mal à définir mes films avec un genre. Pour moi, je raconte d’abord une histoire et le genre vient de l’histoire en elle-même. Contrairement à vous, je ne dirais pas qu’il y a plusieurs genres. C’est avant tout le portrait d’une femme, d’une grand-mère de quatre-vingts ans qui est proche de la fin de sa vie. C’est un film sur l’inconscient de cette femme. Après, si vous y voyez un thriller, un drame psychologique ou même une comédie, moi ça me va très bien ! Vous savez quand on fait des films, on se concentre sur notre histoire, on essaye de raconter vraiment ce qu’on veut raconter, et après le film nous échappe. Surtout lorsque c’est un film comme ici, sur les non-dits, avec des ellipses…Ça demande l’investissement du spectateur.


Après Été 85, Mon Crime, Peter Van Kant et Tout s’est bien passé, tous les quatre des adaptations de roman ou de théâtre, vous revenez à un scénario original avec Quand vient l’automne. 


En fait souvent, lorsque j’adapte un roman ou une pièce, c’est qu’il y a un sujet qui m’intéresse dedans. Quelque chose que j’aurais pu traiter moi-même mais que je trouve suffisamment bien traité dans une pièce ou un roman pour que cela devienne une source d’inspiration. C'est plus rapide ! Là, j’avais vraiment envie de faire un film sur la nature. Après Mon Crime, qui parlait de deux jeunes femmes qui se battaient pour survivre dans une société patriarcale, je voulais faire un film sur deux vieilles dames qui elles aussi survivent dans une petite ville de campagne, à leur manière. C’était ça le désir, et là il n’y avait pas de romans ou de pièces qui me venaient à l’esprit pour raconter cette histoire.


Quand vient l'automne, de François Ozon
© September Film

Quelle a été l’idée à l’origine du projet ?


Je me suis inspiré d’un souvenir d’enfance par rapport à une de mes tantes qui avait fait un repas de famille et avait ramassé des champignons. Toute la famille en avait mangé et s’était retrouvée à l’hôpital sauf ma tante, qui n’en avait pas mangé ! Je suis un peu parti de cette idée : est-ce qu’à chaque fois qu’on cuisine des champignons pour quelqu’un, on n’a pas envie de secrètement s’en débarrasser ?


Quand vient l’automne est rythmé par la partition troublante de Sacha et Evgueni Galperine. Comment s’est déroulée la création de la bande-originale ?


Je leur ai dit que je voulais quelque chose d'atmosphérique, de pas très mélodieux, de tapi, de “en-dessous”. Quelque chose qui est là et en même temps pas là, que le spectateur ne se rende pas vraiment compte. Ils m’ont proposé un thème que j’ai trouvé très beau, avec des bruitages mélangés à des notes de piano. Je me suis dit “Ce sont des ailes d’oiseaux” et ils m’ont dit “Mais non, pas du tout, ce sont les feuilles qui tombent” et j’ai dit “Bon c’est très bien aussi”. Bref, cela donne une atmosphère douce et à la fois un peu inquiétante. Ils sont très forts pour ça.


Quand vient l'automne, de François Ozon
© September Film

Le film est notamment porté par les interprétations sensibles de Hélène Vincent et Josiane Balasko, deux actrices qui tenaient déjà des rôles secondaires dans Grâce à Dieu. Comment s’est déroulée la collaboration ?


Hélène raconte - moi je ne m’en souvenais plus - “ François m’a appelé et la première chose qu’il a demandée, c’est “Hélène est-ce que vous êtes en forme ?”” C’est vrai, parce qu’elle a quatre-vingt-un ans et qu’elle porte tout de même le film sur ses épaules. Elle m’a dit “Oui oui, je suis très en forme”. Alors je lui ai envoyé le scénario, elle a adoré l’histoire et le personnage de Michelle. En plus, elle habite à côté du lieu de tournage. Elle a dit que tout le début du film, c’est un documentaire sur elle. C’est sa vie, elle vit seule à la campagne, elle fait sa soupe, elle regarde la télé, elle lit un bouquin… Elle était très partante et surtout elle était ravie car c’est un rôle très riche et complexe, où elle passe de la tendresse à la noirceur. Et puis, il y a un trouble. Ce que j’ai aimé chez elle aussi, c’est qu’elle est belle, c’est une femme qui assume son âge, qui n’est pas passée par la chirurgie esthétique. Qui a quelque chose de vrai. C’était parfait pour le personnage.


Pour Josiane Balasko, j’ai pensé très vite à elle. On la connaît pour ses rôles comiques mais je trouve que dans des registres plus dramatiques, elle a une dimension très forte. Souvent, les comiques ont ça, quand on les met dans un autre registre, ils apportent beaucoup d’émotion. Elle a assumé d’être filmée sans artifice. Et je trouve que son corps raconte quelque chose, dans sa manière de marcher. Avec des gens comme ça, il y a une histoire qui se raconte. On n'a pas besoin de plein de pages de scénario, ces gens sont là et incarnent les personnages rien que par leur présence.

Quand vient l'automne, de François Ozon
© September Film

Le film est tourné presque entièrement à la campagne, plus précisément en Bourgogne. Ce n’est pas un cadre que vous filmez souvent. Comment avez-vous appréhendé ce décor rustique au niveau de la mise en scène ? 


Alors oui, j’explore rarement la campagne parce que je suis citadin, je suis né à Paris. Néanmoins, j’ai passé une partie de mes étés d’enfance en Bourgogne. C’est une région que j’aime beaucoup, que je connais. Là, j’avais envie de filmer la beauté de ces paysages, des canaux… Surtout au moment de l’automne, où c’est une saison de transformation, de métamorphose.


Vous diriez qu’il s’agit d’un projet plus personnel ?


Pas forcément. Tous mes films sont personnels. Je me cache derrière des histoires, des personnages… Pour les gens qui me connaissent, ils savent très bien où je suis. Les spectateurs peut-être un peu moins. De toute façon, quand on se lance dans une histoire, c’est tellement de travail que c’est forcément personnel.


L’atmosphère du film est assez particulière, il y a une douceur et une humanité qui coexistent avec quelque chose de plus sinistre et vénéneux. Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette ambivalence ?


Je pense que dans la vie, on n’a jamais une vision globale des choses. La vérité est très difficile à saisir. Que ce soit sur les personnes, sur les actes, sur les faits… Du coup, j’avais envie que le spectateur soit comme on est dans la vie, comme dans un puzzle. On a certains éléments, on peut se faire sa propre idée mais on n'est pas complètement sûr et surtout, les choses ne sont pas noires ou blanches. C’est ambigu. Je peux tout à fait comprendre cette grand-mère et me dire, la scène d’après, que c’est un monstre. Et je trouve que dans la vie, on est confronté à ça. J’ai du mal à avoir un avis tranché sur certaines choses. Des fois, on se rend compte qu’on a une mauvaise interprétation de certains événements de notre vie. On n'avait pas bien entendu ce qu’avait dit telle personne et peut-être qu’on a construit une partie de sa vie sur un mensonge. C’est quelque chose que je ressens très fortement. Et puis, parfois, y’a des choses qu’on ne veut pas entendre… Pour Michelle, c’est un moyen de survie.









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