Amoureuse de photographie, et de petits plats mijotés au nappage parfait, Florence Vincent qui arpente les plateaux de cinéma depuis longtemps, a trouvé dans le rôle de styliste culinaire le parfait équilibre des saveurs. Rencontre autour d’une profession qui, malgré l’absence d’odeurs et de goûts, arrive à nous donner l’eau à la bouche !

Est-ce qu’au cinéma on retrouve des procédés similaires à ceux de la publicité pour mettre en valeur les aliments ? Je pense à l'utilisation, par exemple en marketing, de sirop de glucose pour faire briller les aliments ou de savon pour faire mousser la bière, qui permettent de rendre la nourriture plus attractive.
Oui, mais ça dépend des contraintes techniques, des conditions, de l’usage qui sera fait du plat… Par exemple, s’il ne doit pas être touché pendant plusieurs heures ou plusieurs jours, soit il faut le refaire ou en avoir plusieurs versions, soit il faut faire quelque chose qui ne bouge pas trop. Il faut tricher. Donc oui, on triche. Je peux par exemple faire briller des aliments, ne serait-ce qu'avec un pinceau et de l'huile. Ça peut être aussi simple que ça. Et puis parfois, ça peut être des choses beaucoup plus complexes. Mais c'est nos petits secrets, à chacun de nous (rires). Mais parfois, il m'arrive aussi de faire de la vraie nourriture qui doit être mangée et là évidemment les contraintes ne sont pas les mêmes notamment en fonction de la météo. Sur le dernier tournage par exemple, j'avais une scène de petit-déjeuner et j'avais du beurre alors qu’on tournait en plein soleil. Là, évidemment, le beurre il ne tient pas, il fond en deux-deux. Donc il faut vraiment faire quelque chose qui ressemble à du beurre, mais qui n'est pas du beurre et qui ne peut pas fondre au soleil. Il faut être inventif et c’est là la magie de mon métier. C’est une gymnastique !
Quels sont les enjeux ou les contraintes lorsque la nourriture doit être comestible pour les acteur·ices ?
Par exemple, pour The Last Duel de Ridley Scott, avec Jean-Yves Patte qui a le même profil que moi en plus d’être historien d'art, on avait reçu une demande assez claire : c'était vraiment que les aliments, enfin les mets, les plats, soient bons. Notamment parce que les acteurs avaient eu de mauvais souvenirs sur des tournages précédents où ça avait été un peu bâclé.
On a donc fait plein de recherches sur les recettes de l'époque parce que ça devait, évidemment, respecter l'histoire et l'époque tout en étant comestible et bon. Et bien sûr, on s'adapte aux intolérances alimentaires des acteurs, à leur régime particulier, s'ils en ont.
Ça m'est arrivé de faire du faux fromage par exemple.

Qu'est-ce qu'on mange à l'époque de The Last Duel ?
En l'occurrence, là on avait fait des cailles farcies sur tranchoirs. On avait fait énormément de purée, des espèces de potée. On avait aussi fait des tourtes, du pain d'épices, énormément de gaufres. Avec des vieux moules en fonte. Et donc, voilà. C'était assez énorme. On n'a pas arrêté de cuisiner sur ce tournage avec Jean-Yves.
Pour choisir les plats qui pouvaient être réalisés on a fait des recherches historiques puis des propositions aux équipes de mise en scène. On fait des dossiers, parfois avec des croquis, parfois avec des moodboards pour avoir une idée des textures, des couleurs, de ce à quoi ça va ressembler plus ou moins. Donc, on fait des dossiers, il y a beaucoup d'échanges. Et puis après, on s'organise sur la réalisation et le lieu où on va réaliser ça parce que la plupart du temps, on a des cuisines volantes pour être proches du lieu de tournage. Tout est organisé pour qu'on puisse réagir vite.
J’imagine que plus on fait ce genre de projet, plus ça nous amène à d'autres projets de la même ampleur ?
Après Ridley Scott, c'est difficile de garder le niveau (rires). Mais oui depuis, j'ai travaillé avec Patrice Leconte sur Maigret. C’était un autre challenge. J'avais une pièce montée à réaliser qui devait rester plusieurs jours. Elle ne devait pas être mangée. La nourriture, c'est assez anecdotique. C'est un petit élément du décor qui reste souvent peu de temps à l’image. Il faut que ce soit remarqué selon les besoins de l'histoire et donc s'il faut exagérer un petit peu les volumes, moi je vais volontairement le faire. On triche un peu, quoi.

De Downton Abbey, son aristocratie anglaise, à ce Paris post-seconde guerre mondiale dans Maigret... Vous vous êtes quand même attaquée à des réalités socio-économiques, historiques et géographiques très différentes. J’imagine que cela nécessite beaucoup de préparation ?
Oui en effet ! Je commence toujours par lire le scénario ou a minima les scènes qui me concernent quand je ne peux pas avoir le scénario en entier. Un scénario à partir duquel je fais un dépouillement où je vais pointer toutes les scènes où il y aura de la nourriture. Puis, à partir de là, on va réaliser des allers-retours avec le chef décorateur, parfois la mise en scène, sur ce qu'ils attendent de moi. Bien évidemment, je suis ravie quand j'ai un chef décorateur et un réalisateur qui comprennent l'enjeu esthétique d'un plat. Parfois, on est obligé de coller scrupuleusement à l'époque, parce que c'est une demande qui est claire de la part du réalisateur et de la direction artistique. Et parfois, ça nous est arrivé d'avoir des demandes où on doit s'approcher d'une époque, mais pas la respecter scrupuleusement, pour des raisons esthétiques.
Après, on va respecter aussi la saison durant laquelle se situe l'histoire. On m’a déjà demandé des aliments qui sont hors saison. Et là je dis “ah non, c'est impossible, parce qu'à cette époque-là, dans votre histoire, ça se passe à telle époque, à telle saison etc…”. Donc il faut faire des compromis, et trouver quelque chose qui s'approche de ce que l’équipe veut esthétiquement, mais en respectant la saison et les aliments qu'on trouvait à l'époque. Et puis ça va au-delà de l’esthétique aussi. On propose aussi parfois tel ou tel aliment par rapport à sa symbolique, en lien avec la situation ou l’état d’esprit du personnage. C'est des négociations, quoi.