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Critique : Quand tu seras grand, de Andréa Bescond et Eric Métayer

Jetables, rejetés et rejetons

©Cinéart

Le film s’ouvre sur un couple qui s’embrasse et se caresse, la caméra s’attarde sur la tendresse des gestes et des regards et c’est tout l’écran qui irradie de douceur. Rien d’inhabituel dans cette scène, si ce n’est que les deux tourtereaux sont résidents d’une maison de repos. Le ton est donné. Après Les Chatouilles, Andréa Bescond et Eric Métayer s’intéressent à d’autres tabous : les jeunes, les “vieux” et les travailleurs invisibilisés.


L’infiltration d’eau dans une école primaire est le prétexte choisi par le duo de réalisateurs pour une rencontre entre enfants et pensionnaires d’une maison de repos. Les enfants débarquent dans l’Ehpad* pour temporairement profiter de la cantine de celle-ci. Cette situation bouscule les habitudes de tout le monde et n’enchante personne au départ, surtout pas Yannick (Vincent Macaigne) un des auxiliaires de vie de l’établissement, ni Aude (Aïssa Maïga), l’animatrice des enfants. Très vite pourtant, la solidarité se crée, en résonance avec la complicité qui se tisse entre les jeunes et les aînés. Film choral, Quand tu seras grand se fait le porte-voix des difficultés de certains emplois : le manque de moyens dans le secteur des maisons de retraites et celui des écoles. La colère du personnel à bout traverse le film et est mise à l’avant-plan durant la première partie de celui-ci, avant que les cris et les masques revendicateurs ne craquellent, laissant entrevoir l’extrême vulnérabilité des personnages. L'œuvre du duo Bescond-Métayer oscille régulièrement entre le très grand et le très petit. Le binôme humanise les luttes et la solitude en donnant des visages aux problématiques sociales et à la contestation.


Le sujet est fort, important, nécessaire. Néanmoins, Quand tu seras grand présente quelques déséquilibres : les instants d’émotion ne se trouvent pas forcément où on tente de les susciter. Les altercations régulières qui éclatent dans le film et le surmenage des équipes sont souvent traduits à grand renfort de décibels, ce qui peut avoir tendance à les déforcer. Il manque parfois une finesse dans l’écriture ou le jeu que l’on retrouve heureusement à d’autres moments. L'œuvre garde tout de même une certaine cohérence et continue de faire sens dans ses nuances. Christian Sinniger qui incarne un des résidents, Yvon, transcende l’écran par un jeu plein de justesse, tout en force et en fragilité.


©Cinéart

Ce sont ceux à qui on ne s’intéresse pas ou plus que le film nous montre, des individus investis dans leur métier qui s’avèrent être l’épine dorsale d’un système faisant mine de pouvoir se passer d’eux. Il nous montre des emplois peu reconnus et sous-payés pour le temps et l’énergie qui y sont mis. Dans la catégorie du “jetable”, on retrouve aussi les trop jeunes, dont les besoins sont souvent ignorés, et les personnes âgées. Alors que dans la réalité, le temps semble effacer les gens, leur vécu et leur identité pour n’en faire que des corps vieillissant, inutiles et mis de côté, cette fiction leur redonne des contours. Dans cette chorégraphie d’un mal-être général, les “vieux” redeviennent des gens avec des envies, un passé et des désirs. C’est aussi l’occasion d’aborder le tabou de l’amour chez les aînés, celui qu’on ne voit quasiment jamais sur nos écrans ou qui est complètement aseptisé. On ne voit souvent que des esprits complices et non des corps qui se connaissent bien. Filmer l’amour à un âge avancé comme on filmerait une romance adolescente est d’une beauté inouïe. Malgré ses différents défauts, Quand tu seras grand est un manifeste touchant sur les oubliés.


* Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.



RÉALISÉ PAR : ANDRÉA BESCOND ET ERIC MÉTAYER

AVEC : VINCENT MACAIGNE, AÏSSA MAÏGA, CHRISTIAN SINNIGER, MARIE GILLAIN

PAYS : FRANCE

DURÉE : 99 MINUTES









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